«J’espérais quand même qu’il se réveille»

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«J’espérais quand même qu’il se réveille»

Deuil
Par peur de bouleverser ou de faire de la peine, nombre d’adultes éludent la question de la mort et du deuil avec les enfants. Pourtant, il est primordialde leur en parler.

Stéphanie* n’a pas assisté à l’enterrement de son papa. Par peur de déranger l’assistance, sa maman a décidé de ne pas emmener sa petite fille au dernier adieu à son père, décédé brutalement
Attablée dans un café, Stéphanieen parle lentement, mais sa voix ne tremble pas. Le temps a fait son travail et a refermé des plaies. Certaines seulement.


C’était il y a une vingtaine d’années. Stéphanie avait 5 ans. «Au moment où l’on a découvert sa mort, c’était le branle-bas de combat», se souvient-elle. «D’abord, on m’a envoyée chez une voisine
Par la suite, plein de gens sont venus chez moi, ils me faisaient des câlins, ils pleuraient. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait, parce qu’on ne m’avait encore rien raconté. Jusqu’à ce qu’une aumônière vienne me dire que mon papa était parti en voyage. Je me souviens lui avoir demandé quand il revenait. A l’époque, on ne savait pas trop comment parler de la mort aux enfants.» 

 

Vérité versus fantômes et cauchemars

Les temps ont changé. Aujourd’hui, la parole est davantage donnée aux enfants, mais il est également devenu important de les inclure dans les événements de la vie. Pour la thanatologue Alix Noble Burnand, il est primordial de parler de la mort avec les enfants. «La grande peur des adultes, c’est de ne pas réussirà répondre aux questions des enfants, à supposer qu’ils en aient. À la question ‹ Il est où, grand-papa? ›, ils ne savent pas quoi répondre parce qu’ils ne veulent pas faire de la peine ou que les enfants fassent des cauchemars.» 

Selon Alix Noble Burnand, un enfant croit les réponses «poétiques», censées l’apaiser, qui lui sont données. Il imaginera le défunt au ciel, avec les avions. Si on lui dit qu’il dort paisiblement, il redoutera par la suite de dormir, par peur de ne pas se réveiller. Elle conseille au contraire de dire les choses de manière claire et directe. «Ce que tu ne sais pas, tu l’inventes, ce que tu ne vois pas, tu l’imagines.» Dire, mais aussi faire. «Il faut faire participer l’enfant. Il faut qu’il puisse voir le mort. Il faut qu’il puisse participer à l’enterrement. Il faut pouvoir aller au cimetière. Mais aussi faire des bricolages ou des dessins en lien avec l’événement.» Pour accompagner les adultes face aux questionnements de l’enfant, Alix Noble Burnand a publié plusieurs ouvrages. Les Cahiers d’Alix proposent des exemples et des pistes pour utiliser les mots justes. Certains, destinés aux enfants, expliquent ce que sont l’agonie, les directives anticipées ou encore un crématoire, et proposent des contes, pensés pour aider les enfants à structurer leurs émotions. Ainsi, un enfant pourra s’identifier à cette chenille qui pense avoir perdu son amie chenille dans une sorte de cercueil blanc, jusqu’à ce qu’elle émerge en papillon
Ou à Abraham, qui ne voulait pasmourir. Ou à ce vizir qui croit échapperà la mort. Et quand l’enfant est encouragé à créer un conte par lui-même, cel apeut avoir des effets thérapeutiques. C’est pourquoi Alix Noble Burnand a complété son matériel par des cartes qui aident à imaginer une histoire.


Voir le corps pour mieux appréhender la réalité

Les jours qui ont suivi le décès de son père, quelques tentatives ont été faites pour expliquer à Stéphanie ce qu’il s’est passé. Elle reçoit un livre au sujet d’unpetit garçon dont l’oiseau est mort.
Pour elle, difficile de rapprocher cette histoire de la sienne sans l’accompagnement qu’il faut. «Entre un oiseau et son papa, il y a tellement de différences», déplore la jeune femme.

Peu avant l’enterrement, pendant lequel une baby-sitter s’est occupée d’elle, on a emmené Stéphanie voir le corps de son père. «On m’a proposé de lui faire un dessin pour le laisser avec lui. C’était étrange, je comprenais qu’il n’allait pas se réveiller, mais j’espérais quand même.» Voir le corps, une expérience par ailleurs primordiale, selon Alix Noble Burnand: «C’est important, car c’est déterminant pour l’enfant– et même pour les adultes – de voir le mort. Lorsque l’on est confronté à un corps mort, on sait que l’on est vivant. Mais il faut le faire dans de bonnes conditions: c’est une initiation. L’enfant a besoin d’être accompagné et il ne faut pas le laisser découvrir seul le corps.» Si expliquer le décès d’un parent à un enfant est une épreuve, quand il n’y a rien à expliquer, cela laisse des traces. Car ni l’autopsie ni l’enquête policière n’ont pu définir la cause du décès. «Jeme souviens très bien que l’on m’avait dit: ‹ On te dira dès que l’on en saura plus. › Jusqu’à ce qu’à environ 8 ans, je redemande à ma maman de quoi il était mort. En fait, les recherches s’étaient arrêtées depuis longtemps. On n’avait pas pensé que j’attendais une réponse.»

 

Une vérité qui soulage

La cérémonie de l’enterrement existe en cassette audio. La mère de Stéphanie l’a enregistrée pour qu’elle puisse l’écouter par la suite, mais la jeune femme n’a jamais trouvé le courage. Le rapport d’autopsie est également en possession de la famille, mais, là non plus, Stéphanie n’a jamais voulu le lire. Elle est allée chercher des réponses ailleurs, auprès de médiums qui lui ont apporté un peu d’une vérité qui la soulage, et quelques contacts avec son papa, où qu’il soit. Elle se conforte aussi avec la possibilité d’une crise cardiaque passée sous les radars, histoire de pouvoir s’accrocher à quelque chose. Elle se tient aussi aux rares souvenirs qu’elle a de son papa.«J’essaie de me réconforter en medisant que certaines personnes ne connaissent jamais leur père. Moi, au moins, je me souviens qu’il m’aimait. Et je peux me dire qu’il veille sur moi.» Ce deuil a aussi remodelé sa relation avec sa maman: les deux femmes ont développé un lien plus intense. Mais Stéphanie ne sera jamais complètement la même après le drame. «J’ai dû grandir trèsvite, et puis toutes les choses négatives que je vivais après ça me paraissaient minimes.»

Si un tel deuil laisse forcément des traces, les ressources données aux parents aujourd’hui tentent de minimiser les traumatismes. Avec toujours le même objectif: offrir à l’enfant la possibilité de ressentir et d’exprimer ses émotions face à la mort, qui laisse même les adultes sans réponse.

Côté pratique

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